ENTRETIEN. "C'est difficile d'entendre du gouvernement que les maires sont de mauvais gestionnaires", explique le président de l'association des maires en Mayenne
Alors que la Mayenne va accueillir le Forum des élus locaux et des acteurs publics, Joël Balandraud, président de l'association des maires de France en Mayenne, revient sur la relation parfois compliquée entre l'État et les maires.
Publié : 5 octobre 2022 à 11h59 par Alexis Vellayoudom
La crise sanitaire, des matières premières et maintenant la crise énergétique, depuis quelques années, les maires sont sur tous les fronts. Parfois mis en difficulté par l'État, de plus en plus pris à partie par la population, la fonction remplie aujourd'hui un rôle qui dépasse sa mission initiale. En Maine-et-Loire, comme en Mayenne, les associations des maires de France alertent, "je suis maire depuis 2008, je n’ai jamais connu un début de mandat aussi complexe", confiait à nos confrères de Ouest-France, Philippe Chalopin, maire de Baugé-en-Anjou et président de l'AMF 49.
Son homologue mayennais Joël Balandraud s'est lui fendu d'un tweet, il y a quelques semaines, "en tant que maire, j’ai la désagréable impression que, de plus en plus, nous sommes mis en première ligne face à des pénuries brillamment orchestrées depuis des dizaines d’années par l’Etat". Entretien avec le maire d'Évron.
Il y a quelques semaines sur Twitter, vous aviez fait part de votre humeur sur ce qu'était devenu le rôle du maire aujourd'hui et notamment que vous étiez en première ligne de problématiques qui découlaient de la politique de l'État. Qu'est-ce que vous vouliez dire exactement ?
"L'idée, c'était de dire qu'on était en première ligne ce dont on a un peu l'habitude, mais là, en l'occurrence, sur des sujets qui en terme de responsabilité nous appartenaient peu. Il y avait la problématique de la présence médicale qui faisait l'objet de mon moment de colère, qu'est une compétence d'État et que les maires gèrent en terme de pénurie localement. Mais on a aussi, en ce moment, à gérer d'autres pénuries, on manque de matériaux, on manque globalement d'argent et de moyens parce que l'État nous limite dans nos capacités à gérer l'argent".
Vous dépassez votre fonction ?
"Disons que la fonction de maire s'élargit. Le plaisir qu'on a, à être maire, c'est qu'on voit à 360° sur la commune. On voit tout, tout le monde. Pour autant, ça prend une acuité très particulière en moment de crise. Sur certaines compétences qui sont délaissées, la sécurité, par exemple, qu'est une compétence d'État, mais aujourd'hui, les maires s'en occupent de plus en plus, ce sont eux qui payent les caméras de surveillance. Sur l'urbanisme, sur les problématiques d'inondation, plein de choses nous ont été refilées. On va dire que le contrat est largement rempli par les élus locaux et il n'était pas forcément celui du départ des compétences qu'étaient celles des mairies, même si par nature, on a plaisir à être partout et à s'occuper des gens dans tous les domaines de la vie".
En première ligne sur les problématiques de l'État, ça veut dire aussi en ligne de mire face à la colère et au mécontentement des habitants ?
"C'est ça complètement ! Avec même des violences parfois. On a eu un incident dramatique, il y a an. On a des relations qui peuvent se tendre entre des gens qui sont en problématique de pouvoir d'achat et des maires qui assurent des services, tant bien que mal, mais qui sont confrontés aux mêmes difficultés de pouvoir d'achat et qui en plus d'avoir à amortir les crises sociales avec plus ou moins de facilité, voire parfois de grandes difficultés. Là, on craint beaucoup la période d'automne qui arrive parce qu'on se rend bien compte qu'en terme de pouvoir d'achat, d'anxiété, d'inquiétude, les choses ne sont pas faciles pour tout le monde. On l'entend, on le sent. La crise des médecins chez moi, ça a été quelque chose de très violent. Il y a des gens qui n'ont plus de médecins donc c'est très dur. On est devant à plein.
Avec en plus, le fait par rapport à l'État, c'est qu'il prend des décisions parfois qui le rendent "plus populaire", quand vous supprimez la taxe d'habitation, la redevance télé, les impôts sur les entreprises. Sauf qu'enfaîtes, ce sont des impôts qu'étaient à destination des collectivités locales, qu'elles-mêmes gèrent la difficulté. Et on l'a vu, l'État a déjà annoncé que les communes, il y en avait marre, qu'il fallait qu'elles arrêtent d'augmenter les impôts. Ba oui... mais quand vous supprimez l'impôt qui va aux communes et aux collectivités et puis qu'à la fin, elles ne retrouvent pas leur compte et qu'elles ont comme seul moyen l'impôt, c'est difficile d'entendre du gouvernement que les maires sont de mauvais gestionnaires, la preuve, ils augmentent les impôts".
Il y aussi les contraintes réglementaires ?
"Honnêtement, les normes sur l'eau, sur les déchets, l'État nous met des normes sur tout, nous oblige à investir énormément sur des choses qui sont parfois de bon ton, parfois plus réglementaire. Et in fine, c'est le contribuable qui paye avec des taxes locales. Votre président de Communauté de communes, votre maire peut augmenter les taxes de redevances sur les sujets de l'eau ou le sujet des déchets, mais je peux vous qu'il n'a pas renchéri ses coûts autrement que par les taxations d'état indirectes sur ces services. Donc on a en plus un transfert de l'impopularité fiscale et par exemple, sur les ordures ménagères, c'est très sensible parce que ce sont des choses qui arrivent très vite et que les gens voient bien. Et les élus locaux, qui sont en moyenne très raisonnable sur l'imposition, n'ont pas d'autres choix, puisque les budgets doivent s'équilibrer par l'usage des habitants, et se retrouvent à augmenter les impôts sur des décisions qui ne leur appartiennent pas, d'augmentation, de taxation des déchets, que l'État décide tout seul de son côté".
Vous êtes aussi acteur dans le domaine de l'écologie, on le voit avec les méthaniseurs, des réseaux de chaleur à bois, etc. C'est le rôle des maires ?
"Je suis intimement persuadé que c'est la mission de tous. Pour autant, on voit bien que l'action localement, elle est efficace. Nous par exemple dans les Coëvrons, on a un méthaniseur qui a été mis en place qui couvre quasiment toute la poche d'Évron sur une grande partie de l'année en fourniture de gaz vert. Et on travaille sur un réseau de chaleur bois qui fournit 21 établissements publics autour de chez nous. Sur ces choses qui ne sont pas assez mises en valeur parce qu'on a économisé des tonnes de CO² en terme de pollution, mais c'est là que se font les grosses économies, c'est localement".
Et l'État vous accompagne suffisamment ?
C'est à l'État de nous donner les moyens de le faire, mais effectivement, on est dans un état qu'est compliqué puisque la réglementation est lourde. Un méthaniseur, c'est 10 ans à faire aujourd'hui, ça ce n'est pas normal. Là, l'État doit nous aider en disant tout dossier de méthaniseur, ça doit être 4 ans pour être monté, parce que 4 ans pour monter un dossier technique qui a du sens, c'est suffisant. 10 ans pour faire un projet, c'est décourager tous les porteurs de projet qui ne sont pas comme les collectivités qui sont dans le temps long. Un porteur de projet privé sur 10 ans, il a le temps de se décourager dix fois, il a même temps de partir à la retraite parfois, c'est très compliqué quoi. Ça fait partie des sujets qu'on va mettre sur la table. Si on veut faire de l'énergie, en France, regardez dans le détail, vous verrez les projets de production d'énergie même vertueux mettent un temps fou à se créer".
Des sujets qui seront abordés à travers plusieurs conférences le 15 octobre dans l'Espace Mayenne lors du Forum des élus locaux & des acteurs publics à Laval.