La psychiatrie débordée en Mayenne : “ça commence à faire mal”
Les médecins psychiatres des trois grands hôpitaux mayennais et le syndicat Force Ouvrière alertent à nouveau. Avec un manque grandissant de soignants et des fermetures de lits, ils ne peuvent plus prendre en charge correctement leurs patients.
26 octobre 2022 à 16h54 par Coralie Juret
Des patients de psychiatrie envoyés dans d'autres services ou d'autres hôpitaux faute de places et de médecins… Situation alarmante dans les hôpitaux de la Mayenne dénoncée par Force Ouvrière, et qui affecte la prise en charge des patients selon le syndicat. "Ça aide pas à aller mieux parce que d’une part on est loin on n’a pas ses proches à proximité et on sait bien qu’en psychiatrie c’est important parce qu’on a besoin de soutien”, explique Sylvain Bihel, délégué FO. “Et ça morcelle le suivi, s’il s’agit de patients qui sont habituellement suivis à Laval qui connaissent leur médecin et les services, c’est pas bon pour la suite de la prise en charge” s’inquiète l’infirmier en psychiatrie à l’hôpital de Laval.
“Si ça persiste et que ça s’empire, le risque c’est qu’on aille encore plus loin sur les fermetures de lits et là, j’ose pas imaginer les conséquences…” Selon nos informations, un patient du centre hospitalier de Laval qui n'a pas pu être accueilli en psychiatrie il y a deux semaines, a mis fin à ses jours dans le service de médecine conventionnelle. Il était en attente d'une place en psychiatrie depuis quelques jours. A Château-Gontier, une patiente du CMP (Centre médico-psychologique) a vu son suivi arrêté en raison du départ non remplacé de son médecin.
“Prendre du temps qui se réduit à peau de chagrin”
A Laval, Mayenne et Château-Gontier, le constat est le même : des fermetures temporaires de lits qui durent depuis la crise sanitaire, par manque de moyens humains : 6 lits de moins en psychiatrie au centre hospitalier du Haut-Anjou, 33 pour adultes et 5 en pédopsychiatrie à Laval.
A Château-Gontier, les quatre médecins psychiatres doivent gérer à moyens constants un service d’hospitalisation à domicile, l’afflux de patients d’autres territoires et des consultations externes, en plus de leur service. Trois d’entre eux sont sur le départ : “Il y en a un qui part très prochainement, fin décembre et l'autre psychiatre qui est à 80 %, et puis nous, répartis sur des charges extérieures pour faire digue et ne pas se faire envahir par les patients, au niveau de l'IME (Institut médico-éducatif), au niveau des maisons de retraite, au niveau de structures autour, qu'elles relèvent de l'hôpital ou pas d'ailleurs”, détaille le Dr Kamal Djebbar. Il a fait une croix sur le repas du midi. “Heureusement que je ne dors que 4h par nuit”, philosophe le psychiatre.
Comme son adjointe, le chef du pôle psychiatrie a décidé de ne pas faire valoir ses droits à la retraite il y a 5 ans, tant qu’ils n’auront pas de remplaçants. “La charge de travail supplémentaire vient aussi des difficultés des hôpitaux des départements autour, du côté de Segré d’une part, et d'autre part du côté du Bailleul et les difficultés de la psychiatrie pour l'ensemble du département de la Sarthe”, ajoute le Dr Marie-Madeleine Grosbois.
Une situation tendue que les Dr Djebbar et Grosbois décrivaient déjà avec leurs collègues des trois gros hôpitaux mayennais dans une lettre ouverte envoyée le 15 juillet dernier aux élus et parlementaires du département. Sans réponse.
Des praticiens partagés et des psychiatres francophones pour pallier
Une réunion avait aussi lieu le 14 octobre dernier avec l’Agence régionale de santé, mais aucun écho du côté de Force Ouvrière, s’agace le syndicat. Comme les psychiatres hospitaliers mayennais, il dénonce l’immobilisme des pouvoirs publics.
“Former un médecin s’anticipe, mais en attendant, on a des solutions pour tenir quelques mois ou quelques années”, avance Sylvain Bihel : “Créer des postes de praticiens partagés entre le CHU et l'hôpital de Laval, de Mayenne ou Château-Gontier ça existe, ça se fait. On pense que ça pourrait être une solution et que l’ARS pourrait l’envisager. On sait aussi que par ricochet si on a des postes de médecins partagés avec le CHU d’Angers ça pourra aussi nous permettre d’accueillir à nouveau des internes, des jeunes médecins en formation et de valoriser la psychiatrie en Mayenne”.
De son côté, le Dr Djebbar propose de donner un titre de séjour et une autorisation d’exercice à des praticiens francophones compétents qui cherchent à travailler à l’étranger, “les chefs de pôle sont prêts à se porter garants”. Il a déjà un candidat, “un chef de service d’un des plus gros hôpitaux de capitale, lui-même formateur”. Mais il faut des salaires décents, “il serait payé 1300€ à Château-Gontier”, souligne encore le médecin.
Le syndicat Force Ouvrière prévoit une AG avec le service psychiatrie de l’hôpital de Laval le 2 novembre. Il appelle lui aussi les élus mayennais à “se saisir de la situation”, dans un contexte où l’on sait que la santé mentale des Français s'est dégradée. “Dans les CMP on continue à accueillir des patients mais moins bien, et il n’y a plus de relais médical” selon Sylvain Bihel. “Dans son dernier bulletin santé, le Conseil de l’Ordre note que la courbe des suicides a flambé chez les jeunes”, renchérit le Dr Djebbar. “Le système est prêt à imploser”.