Segré. En 1944, Michel, 6 ans, était l'un des otages pris par l'armée allemande

Le 6 août 1944, l'armée allemande prend en otage une soixantaine de Segréens dans la montée Saint-Joseph. Parmi eux, Michel, 6 ans, il raconte ses souvenirs.

31 juillet 2024 à 14h52 par Alexis Vellayoudom

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En 1944, Michel Suard avait 6 ans lorsque lui et sa famille sont pris en otage par l'armée allemande
Crédit : Alexis Vellayoudom

80 ans après, Michel Suard, l'un des derniers des otages de Segré encore en vie, continue de témoigner. En 1944, le retraité avait 6 ans lorsque les Allemands le prennent, lui et sa famille, en otage pendant plusieurs heures de la montée Saint-Joseph à Segré. Aujourd'hui, malgré une mémoire fragile, sa parole se libère un peu plus chaque jour, notamment auprès de ses petites-filles. Ce dimanche 4 août, il sera présent à Segré pour les commémorations des 80 ans de la libération de la ville. 

 

"On récitait, je vous salue Marie, pleine de Grâce"

 

En ce début du mois d'août 1944, même si les systèmes de communication n'étaient pas ce qu'ils sont aujourd'hui, les habitants de Segré ont eu vent du débarquement des alliés en Normandie le 6 juin. L'espoir est là, mais les Allemands aussi. C'est le 5 août que le petit Michel, 6 ans, voit la Wehrmacht quitter la ville en direction d'Angers. "Il y avait des scènes de liesses. On a pris la propagande allemande et on a foutu tout ça en l'air dans la rue. On pensait que les Allemands étaient partis", se souvient Michel. Le lendemain, au petit matin, l'un de ses voisins rend visite aux parents de Michel, concierges de la Société de l'Union Segréenne de Tir. "Il nous dit, il y a un calme, un silence complet. Faut dire que la majorité des habitants avaient quitté Segré". Comme une sorte de retour à la vie d'avant-guerre, le couple Suard et leur voisin décident de faire une partie de boule de fort. "Tout à coup, ça tirait au-dessus de nos têtes. Ça venait du Château de la Lorie et la ligne de chemin de fer où c'était boisé. C'est là, qu'on est rentré s'abriter dans la cave. De gens, nous ont rejoint. On était nombreux", raconte le retraité. La peur s'empare de ces habitants cachés. "On récitait, je vous salue Marie, pleine de Grâce". 

 

Le récit de Michel Suard
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

À la surprise générale, les Allemands déboulent dans Segré. Les pas s'approchent des caves. "On les entendait au loin. Ils avaient des clous dans leurs chaussures", s'amuse Michel. La cave où Michel se cache n'est pas fermée. L'un des voisins avait oublié de tourner la clé. Il décide de sortir pour réparer son erreur, mais tombe nez à nez avec les soldats allemands qui les font sortir. "Il y avait une fumée noire parce que Segré brûlait", décrit le Segréen. En représailles de la liesse de la veille, les Allemands avaient mis le feu dans tout le centre-ville. "Il n'y avait pas de pompiers et de gendarmes. Je vois encore Papa remettre son portefeuille à maman parce qu'ils ont demandé aux hommes d'aller éteindre le feu".

 

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Très vite, la Wehrmacht rassemble une soixantaine d'habitants dans les escaliers de la montée Saint-Joseph. Parmi les preneurs d'otages, il se souvient d'un soldat en particulier. "L'un de ceux qui nous tenaient en joue, c'était soi-disant un Russe. Je me souviens Madame Arthuis, une voisine, elle demandait si elle pouvait aller chercher quelque chose. Il a répondu "neks, neks"". Dans les escaliers, Michel est avec sa soeur, un de ses frères et ses parents, il se remémore l'effroi. "Il y avait un silence, les mains en l'air. On tremblait comme une feuille. Notre chien, Gitane, était là, elle tremblait aussi. C'est marrant comme un chien sent la peur". 

 

Des pigeons pendus

 

S'en suit de longues discussions pour faire libérer les otages, entre l'officier allemand et le sous-préfet de l'époque Monsieur Fouet, l'archiprêtre Delhommeau et le maire Monsieur Rossignol. Ces négociations aboutiront à la libération des otages, le drame, comme à Oradour-sur-Glane, deux mois plus tôt, est évité. Mais la journée de Michel n'est pas finie. Sous escorte allemande, les habitants sont conduits près l'hospice, sur les hauteurs de Segré. "Ce qui m'a surpris, c'est qu'on avait la machine à coudre. Elle était camouflée dans le jardin", précise Michel. Apeurés, les habitants continuent de prier. Pour Michel, cette journée interminable se terminera par un sommeil profond. Il se réveille le lendemain, certains bâtiments continuent de se consumer. Après avoir fouillé sa mémoire, un autre détail l'a particulièrement marqué, il en reparle avec émotion. "Mon papa, il avait des pigeons voyageurs. Les Allemands sont venus chez nous et ils disaient "kaput les pigeons". Un voisin est venu à la maison, sur la terrasse, il y avait les fils à linge et il les a pendus... Pendu, les pigeons. Capoot, je vois encore le pigeon. Ils avaient sûrement peur que ce soit des pigeons pour envoyer des messages". 

 

Ce souvenir a marqué à vie Michel Suard
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

Dans la journée, les Américains, après quelques échangent de tir avec les Allemands, d'un côté et de l'autre de la Verzée, arrivent, enfin. "On a vu les Américains arrivés par la route de Pouancé, les Hauts de Saint-Jean. On faisait le signe de la victoire et ils nous donnaient du chewing-gum, du chocolat", se remémore celui qui habite aujourd'hui dans l'agglomération angevine. Une période qui l'a marqué à vie. "Je repense à l'Ukraine, les enfants ils sont marqués à vie. Moi, ça m'a marqué à vie", s'émeut Michel. Aujourd'hui, le retraité de 86 ans, ne rechigne pas quand il faut témoigner dans les médias, ses enfants et petits-enfants commencent à lui poser des questions. Ils seront d'ailleurs présents aux commémorations ce dimanche qui débuteront à 10h30. Deux visites guidées retraçant les événements de ce 6 août 1944 sont programmées à 14h30 et 16h.