Tribunal d'Angers. Budget, délai des audiences, État de droit, le président Benoît Giraud décrypte le contexte de rentrée
Lors son audience solennelle, Benoît Giraud, président du tribunal judiciaire d'Angers, a fait le point sur l'organisation du tribunal, notamment sur le contexte économique en l'absence d'un budget.
Publié : 27 janvier 2025 à 9h30 par Alexis Vellayoudom
Comme chaque année, le tribunal d'Angers a tenu son audience solennelle, mais cette fois-ci sans budget. Le contexte politique incertain laisse la justice dans une période de flou. Une situation que nous avons abordé avec le président du tribunal judiciaire d'Angers Benoît Giraud. Entretien.
Benoît Giraud, le contexte global à l'international ou en France est plutôt morose. Êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste pour la justice sur cette année 2025 ?
"On va dire prudent. Je suis plutôt d'un naturel optimiste, maintenant, il faut être réaliste. La grosse inquiétude est surtout au niveau national, c'est celle d'avoir un budget pour la justice comme pour toute la nation et que les moyens qui ont été votés à la fin de 2023, finissent par arriver progressivement comme c'était prévu entre 2023 et 2027. C'est-à-dire des rénovations de palais de justice qui sont parfois en mauvais état, des budgets pour moderniser l'architecture informatique et des moyens humains en magistrats, greffiers et assistants de justice. Aujourd'hui, au tribunal d'Angers, il y a deux postes vacants au siège sur 34 magistrats. Mais dans les besoins qu'on a identifiés, il faudrait 4 ou 5 magistrats de plus pour arriver à faire face à toutes les affaires dont on est saisi. Et puis au greffe, tous les postes sont pourvus, mais il y a beaucoup de temps partiel, congés maladie, etc. Ce qui fait qu'on fonctionne avec 8 à 10 % d'effectif en moins par rapport à ce qui était prévu. Pour le reste, les changements de ministres ça ne change pas grande chose, après, bien sûr, qu'on aimerait un peu plus d'instabilité".
Cette paralysie politique a quel impact sur le tribunal ?
"Il n'y a pas d'impact sur le fonctionnement normal de la juridiction. Les magistrats et les fonctionnaires sont payés. On paye les frais de fonctionnement. En revanche, tout ce qui n'est pas nécessaire au fonctionnement n'est pas assuré. De manière totalement anecdotique tout ce qui concerne les cérémonies de début qui sont réduites au strict nécessaire. Plus embêtant, on a du retard dans le paiement d'experts judiciaires et de certains frais de justice. Si ça ne dure pas trop longtemps, ça peut aller, mais il ne faut pas que ça dure des mois. Par exemple, si des experts ou des interprètes n'étaient pas payés pendant plusieurs mois, ils pourraient ne plus vouloir venir. Là, on serait obligé de renvoyer des dossiers et ça pourrait avoir un impact sur la durée des audiences et la durée de traitement des dossiers, mais pour l'instant, il ne faut pas avoir trop d'inquiétudes par rapport à ça".
Justement sur la durée de traitement des audiences, où en êtes-vous ?
"Alors sur la durée de traitement des audiences en correctionnel, ça a un petit peu baissé. On est passé en moyenne de 16 mois, à 13 mois. Ça reste long, mais on aimerait continuer à descendre dans le domaine pénal. Dans le domaine civil, ça n'a pas beaucoup changé. Il y a une augmentation des affaires de 5 % sur l'année 2024. On a traité un petit plus d'affaires, mais pas suffisamment pour qu'on couvre toutes les affaires qu'on a reçu. On fait du stock, alors un peu moins que l'année précédente, mais du coup les délais ne ralentissent pas nécessairement".
Cette augmentation de 5 % pour le civil, comment elle s'explique ?
"C'est trop tôt pour faire une analyse précise. Il y a peut-être le contexte économique qui explique une partie. Après toute l'activité civile a augmenté partout, affaires sociales, contentieux civiles, générales, contentieux de la profession, quasiment tout a augmenté".
Pour revenir au contexte, vous évoquiez les attaques contre l'État de droit ?
"Oui, c'est ce qui m'apparaît le plus important. Elles fleurissent ici ou là, en France parfois, mais également à l'étranger, à travers certaines politiques et certains chefs d'État. Il faut rappeler ce qu'est l'État de droit, c'est un pays qui fonctionne avec des règles de droit, qui s'imposent à tous, y compris aux gouvernants qui sont obligés et se soumettent au droit. C'est une presse libre, une justice indépendante. C'est dans l'intérêt de nos concitoyens. Alors bien sûr l'État de droit, il y a parfois des décisions d'un juge qui ne plaisent pas à telle ou telle personne ou corporation, mais c'est un principe général du fonctionnement d'une démocratie. Et on constate que depuis quelques années, il y a des attaques contre cet État de droit et c'est important de le défendre et de le réexpliquer, notamment aux jeunes générations, vous voyez les sondages, on voit que les jeunes sont moins attachés à vivre en démocratique que nous on a pu l'être ou nos parents et nos grands-parents. C'est le besoin que j'ai éprouvé de rappeler ce qu'était l'État de droit".