Pouancé. Le récit de deux Ukrainiennes réfugiées dans le Haut-Anjou, un an après le début de la guerre

Maryna, son fils et Viktoria ont fui l'Ukraine dans les premiers mois de la guerre. Aujourd'hui, elles sont installées à Pouancé et reviennent sur leur vie de réfugiées et l'amour qu'elles ont pour leur pays.

14 mars 2023 à 17h04 - Modifié : 14 mars 2023 à 17h35 par Alexis Vellayoudom

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Maryna, son fils et Viktoria vivent à Pouancé depuis un an
Crédit : Alexis Vellayoudom

Elles ne se connaissaient pas avant d'arriver en France. Au début de l'année 2022, Maryna et Viktoria sont pour l'une et l'autre des anonymes. Maryna, 34 ans, travaille dans la fiscalité et le commerce à Tchernihiv, au Nord de l'Ukraine et de Kiev, près des frontières avec la Biéolorussie et de la Russie. Viktoria, la cinquantaine, est informaticienne pour des entreprises internationales et vit, avec son mari, près de Kiev. Sa fille Yulia est enseignante au lycée Bourg-Chevreau à Segré. Avant la guerre, elles étaient sûrement amenées à ne jamais se rencontrer, depuis leurs chemins se sont croisés en France où elles s'entraident mutuellement pour débuter une nouvelle vie. Témoignages de ces deux Ukrainiennes venues se réfugier à Pouancé. 

 

"Personne ne croyait que c'était possible" - Viktoria, originaire de Kiev

 

Le soir du 23 février, les deux femmes vivent paisiblement à l'Ouest d'un pays pourtant déchiré à l'Est par des années de conflits avec la Russie. Un quotidien ponctué par les moments de joie, de bonheur et parfois les difficultés de la vie. Mais ce 24 février, leurs vies, comme celles de millions d'Ukrainiens, basculent. Viktoria se souvient : "J'avais rendez-vous à 8h chez le médecin avec ma maman. Et à 4 heures du matin, je me réveille. Par chance, j'ai pris mon portable et j'ai lu l'actualité et c'était la guerre qui commençait. C'était les premiers bombardements. J'ai entendu beaucoup de bruit, mais je n'ai pas compris tout de suite que c'était des bombardements. C'était des événements imprévisibles, personne ne croyait que c'était possible". 

 

Les premiers jours racontés par Viktoria
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

Avec son mari, ils décident de se réfugier dans leur maison de campagne en forêt, "après trois semaines, on a décidé de quitter l'Ukraine. Ma fille qui vit en France à Pouancé, elle était très inquiète. Elle nous demandait de partir", raconte Viktoria. Un départ difficile puisque les cinq ponts qui permettent de sortir de la ville ont été détruits par l'armée russe. "C'était pas possible de partir en voiture. On a eu la possibilité de partir en bus scolaire avec d'autres femmes et des enfants. J'étais avec ma maman de 82 ans et mon petit chien. Mon mari a dû rester comme les hommes de 60 ans ne peuvent pas quitter le pays", poursuit Viktoria. Au terme d'un long voyage qui l'aura fait passer par la Pologne et l'Allemagne, l'informaticienne arrive finalement à Pouancé grâce à des amis allemands. 

 

"Pour faire nos besoins, on avait un seau pour 100 personnes", témoigne Maryna, enfermé dans un sous-sol par l'armée russe pendant 28 jours

 

Plus au Nord, à Tchernihiv, c'est la mère de Maryna qui l'alerte sur le début de la guerre, "on a allumé la télé, on n'y croyait pas puis on a vu qu'ils avaient commencé à bombarder Kiev et Brovary", se rappelle la jeune femme. Pour rapidement faire tomber la capitale Kiev, l'armée russe est partie de Biélorussie, à quelques kilomètres de Tchernihiv. Elle avance vite, "des amis nous ont dit qu'ils se dirigeaient vers Tchernihiv pour capturer la ville", explique la trentenaire. Maryna, avec son fils Nazar, décide de se réfugier dans le petit village de Yahidne, à quelques kilomètres au Sud, "nous pensions que c'était plus sûr là-bas". La maman et son enfant y restent cinq jours. Début mars, l'armée russe est proche, "la lumière a disparu, la connexion internet a été coupée, on avait plus de chauffage. Des soldats russes sont entrés dans le village de Tchernihiv, mais ils ne pouvaient pas le prendre donc ils ont bombardé tout autour et le village de Yahidne", détaille Maryna. 

C'est là que l'enfer de 350 habitants du petit village va débuter. Maryna se souvient : "les soldats russes avec toutes leurs armes, chars, mitrailleuses et avions sont venus en force et ont commencé à faire le tour des maisons pour intimider tout le monde. Ils ont dit que tout le monde avait besoin d'eux. Ils ont brutalement rassemblé tout le monde dans le sous-sol d'une petite école. Nous sommes restés là-bas pendant un mois avec des personnes cruelles qui ne nous laissaient pas manger, qui ne nous permettaient pas de boire. Nous avons été emmenés à des interrogatoires et forcer de dire des choses incompréhensibles et ils nous forçaient à boire. Ils conduisaient de jeunes enfants seuls dans la forêt pour nous intimider en faisant croire qu'ils allaient tirer dessus. Mon fils avait 7 ans à l'époque, maintenant, il en a 8. C'était comme un détecteur de mensonges pour adultes ou si nous étions tentés de dire où ils se cachaient". 

 

Maryna raconte le calvaire de 28 jours qu'elle a vécu dans le sous-sol d'une école
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

Maryna, sanglotant, reprend : "Nous avons mangé toutes les choses sales que nous pouvions trouver, nous avons dormi assis. Les enfants sont tombés malades, des gens mourraient à côté de nous. Là où j'étais, il y avait deux hommes dans une famille, un jeune et un grand-père, ils ne sont plus vivants, ils ont été abattus. Puis le grand-père qui a survécu a été emporté par une mine. C'est dur d'en parler, mais il faut le dire. Ils se sont moqués des personnes âgées. Ils les ont jetées dans des fosses au cimetière avec l'aide de personnes vivantes. Nous avons passé beaucoup de jours sous les bombardements, nous nous sommes endormis au son des chars, des avions et des bombes. Pour nous intimider, ils nous disaient que l'Ukraine s'était rendue, que Kiev était tombée et que Tchernihiv était capturée. Tout le monde est resté dans ce lieu terrible, sans air et tombé malade de toutes les maladies possibles. Pour faire nos besoins, on avait un seau pour 100 personnes. On était affamé, on avait froid. On a perdu notre humanité, mais nous avons survécu". Au total, 10 personnes âgées sont mortes de suffocation. Selon Human Rights Watch, les forces russes ont procédé à quatre exécutions sommaires dans le village. Après ces jours effroyables, Maryna et son fils se sont réfugiés dans l'Ouest de l'Ukraine, mais traumatisée par le bruit incessant des sirènes qui font ressurgir les fantômes du passé, elle décide, avec son fils, de partir vers la France. 

 

Comment se passe leur intégration ? 

 

À son arrivée en France, Viktoria est d'abord accueillie par sa fille Yulia. Puis l'association Salut à Toit a pris le relais. La quinquagénaire a été logée dans une maison de Roland Pascal, "il était très gentil de nous inviter. C'était une petite maison avec une chambre, un salon avec la cuisine ouverte. Mais pour nous, après tous ces événements, c'était un abri divin. Nous avons été très stressés, inquiets et la situation était très dure. Je remercie tous les Français qui nous ont accueillis". Viktoria a d'abord passé plusieurs mois à s'occuper de ses deux petits-enfants, "en janvier 2023, le dernier est rentré à l'école et maintenant, je suis libre (rires). J'ai cherché un travail, j'ai essayé, mais j'ai compris que j'avais besoin d'améliorer mon niveau de français".

Pendant plusieurs semaines, elle va prendre des cours de français avec l'ancienne directrice de l'école. L'informaticienne s'est ensuite inscrite à Pôle Emploi où elle a participé à plusieurs ateliers, "après ils m'ont proposé d'entrer dans une formation à l'Université d'Angers. C'est Langue et Culture Française. Et maintenant, j'y vais tous les jours, c'est dur, mais c'est très intéressant. Je suis contente d'avoir cette possibilité d'améliorer mon niveau parce que je veux trouver mon travail en France. Pas forcément le même niveau qu'en Ukraine", raconte Viktoria. 

 

Comment se passe l'intégration de Maryna et Viktoria ?
Comment se passe l'intégration de Maryna et Viktoria ?
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

Maryna et son fils Nazar ont posé leurs valises en France, qu'en mai dernier, après quatre jours de voyage. Ils sont d'abord logés chez un homme puis grâce à l'association et à la générosité de Nadine Guillois, gérante du salon de coiffure Haute Coiffure Création, ils s'installent dans l'appartement au-dessus du salon. "Au début, je ne pouvais pas du tout penser au travail. Je ne connaissais pas la langue, mais grâce aux cours de l'association, à Youtube, on a appris au maximum. Mon fils est venu à l'école Jules Verne à Pouancé. Il est très content, il joue au foot. Il s'est fait des amis. Au début, j'ai réussi à travailler dans un collège avec des enfants. C'était deux heures l'après-midi, mais ça m'a donné de la joie, le sourire et de la force pour l'avenir. Puis avec l'aide d'amis français, on a commencé à parler davantage le français, on a fait des démarches administratives, on a créé un CV et j'ai trouvé un emploi à l'hôpital de Châteaubriant", confie Maryna.  

 

Huit familles ukrainiennes à Pouancé

 

Depuis le début de la guerre, l'association Salut à Toit a accueilli huit familles pour un total de 24 Ukrainiens, "elles sont arrivées par leurs propres moyens et nous les avons logées dans des logements communaux et de particuliers à Pouancé, Saint-Michel-et-Chanveaux et La Prévière", explique Aline Grégoire, représentante de l'association. Les bénévoles ont d'abord aidé les familles dans leurs démarches administratives. Depuis France Services a pris le relais.

 

L'association Salut à Toit a permis l'arrivée de 24 Ukrainiens
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

La priorité pour elles, trouver un travail, "Elles ont eu quelques cours de français grâce à l'association Envol et elles parlent toutes anglais. Il y en a deux qui ont travaillé tout de suite et il y a trois femmes qui viennent juste de trouver un emploi chez Longchamp à Segré, car depuis décembre, au niveau des loyers, les familles les payent et elles payent aussi leurs charges depuis janvier. Il y a des familles pour lesquelles ça pose problème, notamment un couple de retraités qui n'a pas d'aides de la France, pas de retraite française, pas d'aide adulte handicapé, mais la municipalité va continuer à payer leurs charges", détaille Aline qui est aussi Conseillère municipale à Ombrée d'Anjou. 

 

Envisagent-elles de retourner en Ukraine ?

 

À l'unanimité non. Du moins, pas tant que la guerre est terminée. Le mari de Viktoria est toujours dans son village en Ukraine, mais le couple voulait déjà venir habiter en France, "avant la guerre, nous avons eu le projet de déménager en France. On avait préparé tous les documents pour la démarche de regroupement familial. Nous avons eu rendez-vous dans le Consulaire de France, le 25 février 2022, le 24, c'était le début de la guerre et c'est aussi l'anniversaire de ma fille. Je pense que ce n'est pas possible de terminer la guerre rapidement, car les Russes ont occupé beaucoup de territoires de l'Ukraine. Et maintenant, tous les Ukrainiens veulent que la guerre se termine par notre victoire avec la Crimée et le Donbass. Maintenant, Pouancé, c'est notre deuxième patrie. Tous les gens sont très gentils", explique Viktoria. 

 

Viktoria se voit difficilement revenir habiter en Ukraine
Crédit : Alexis Vellayoudom
Pour protéger son fils, Maryna veut rester en France
Crédit : Alexis Vellayoudom

 

De son côté, Maryna a toujours sa maman et son petit-frère en Ukraine, mais impossible pour elle d'y revenir : "Mon coeur est en Ukraine et sera toujours en Ukraine, mais je ne peux pas revenir, car j'ai un fils et je veux protéger mon fils. Notre âme est toujours ukrainienne. Si c'était possible d'y revenir, ça serait un miracle. C'est possible, si l'Ukraine rejoint l'Union européenne. Je voudrai dire merci à la France, aux Français et à l'état qui a soutenu l'Ukraine. Quand nous sommes arrivés en France, nous avons été comme les enfants de la France. Tous les gens nous donnaient beaucoup de soutien. Après 9 mois, nous avons grandi, appris à faire confiance, à rire, à être positif, voir le futur et avoir de l'espoir. Gloire à l'Ukraine, gloire aux héros".