Angers. Baroud d'honneur pour le Quai et la Culture

Ce jeudi 19 décembre, le Conseil régional vote son budget 2025 dont la coupe budgétaire de 100 millions d'euros qui impactera des structures sociales et culturelles, dont le Centre dramatique national Le Quai à Angers. Entretien avec le directeur Marcial Di Fonzo Bo.

Publié : 17 décembre 2024 à 10h30 - Modifié : 17 décembre 2024 à 10h31 par Alexis Vellayoudom

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Le 28 novembre, plusieurs centaines de personnes avaient manifesté devant l'Hôtel de Région
Crédit : DR

Semaine décisive pour plusieurs associations régionales. Ce jeudi 19 décembre, les élus du Conseil régional voteront le budget 2025 où est prévue notamment une coupe budgétaire de 100 millions d'euros. Plusieurs associations culturelles, mais aussi des structures sociales sont concernées par ces baisses, voire ces suppressions de subventions, dont le Centre dramatique national Le Quai à Angers. Entretien avec le nouveau directeur Marcial Di Fonzo Bo. 

 

Marcial Di Fonzo Bo, concrètement, comment vous impacte la coupe budgétaire décidée par Christelle Morançais ? 

 

M Di Fonzo Bo : "Ici, la subvention de la région est coupée en deux secteurs. La première subvention est fléchée pour différentes actions précises comme l'accueil d'artistes de la région. 40 000 € seront donc amputés dès le 1er janvier 2025. Celle-ci sera coupée juste après le vote. Ce qui est regrettable, c'est que ces annonces ont été faîtes alors même que le budget n'est pas voté. Et l'autre subvention, c'est la totalité, à savoir que la Région se retirait, ce qui est assez historique, des financements du Quai. Ça serait un tout de 200 000 € à la fin de l'année 2025. Ça correspondrait à un faible pourcentage du budget total du Quai, c'est 4 %, si l'on met ça uniquement sur les frais de fonctionnement qui sont très élevés, à savoir l'entretien du bâtiment, l'accueil de deux projets artistiques, le restaurant et la sécurité. Donc il faut plutôt comprendre ces 200 000 €, là où ils seront imputés réellement dans ce qu'on appelle le "disponible pour l'artistique". C'est-à-dire une fois que vous avez enlevé les frais de fonctionnement pour le bâtiment et les projets, l'argent qui reste pour ce "disponible pour l'artistique". C'est ça qui sera amputé, car les frais de la maison, on ne peut pas les changer. Là, ça représente plutôt entre moins 20 et 25 %. Ce chiffre est variable en fonction de l'activité et la billetterie."

 

Il y a des choses que vous ne pourrez plus faire ? 

 

M Di Fonzo Bo : "Évidemment, il faudra trouver les moyens de répondre à ça. En revanche, nous, on ne prend pas les décisions aussi vite que la présidente du Conseil régional. Il faudra comprendre de quelle manière on doit compenser ce manque. On ne conçoit pas du tout de punir ni l'activité faîte envers ce qui sont les missions de la Région, ni l'accueil des artistes régionaux ou l'action envers les 5 000 lycéens qui viennent ici avec des tarifs à 8 €. Quand la Région met un 1 €, à côté, il y a les autres collectivités, mais aussi le chiffre du théâtre. C'est bien ça l'originalité de cette brutalité dans une structure comme un Centre dramatique nationale dans laquelle toutes les collectivités, l'État, la ville et la Région s'inscrivent pour prendre en charge le service public de la Culture. Donc qu'il y ait un mauvais moment à passer, certes. On vit dans le pays donc on voit très qu'il faut trouver une façon de passer cette séquence historique, mais là, ce qui est terrible, c'est qu'on ne nous demande pas de réfléchir ensemble sur la meilleure façon de faire des économies. Comment ne pas couper le lien social.

Nous, ici, je suis responsable de l'activité d'artistes, de techniciens, de prestataires. La Culture produit de l'argent aussi. Ce qui est très grave, c'est que la Région annonce son retrait complet et sans retour. Ça, ça traduit encore autre. Je trouve que ça marque l'arrêt d'une politique culturelle dont je pense que Madame Morançais n'a pas la moindre idée de ce qu'elle produit réellement. Il y a au mieux une méconnaissance absolue. C'est un aspect idéologique que je trouve très inquiétant et qui n'est pas forcément de son parti politique. Elle fait cavalier seule donc comment une personne peut décider de manière univoque, brutale, comment organiser l'argent public qui n'est pas le sien. Là, on a une méthode, je suis Argentin donc je peux le dire, qui se rapproche de ce qui se fait là-bas aujourd'hui. C'est inquiétant".

 

Mais les conséquences directes ? 

 

M Di Fonzo Bo : "Il faudra faire un peu moins de tout, parce qu'on veut continuer d'accueillir les compagnies et les artistes régionaux. On va continuer à s'adresser aux lycéens, mettre des cars, et des tarifs avantageux. On va continuer de faire ça parce que j'ai choisi de diriger une institution publique, je suis un enfant du service public. Donc ça va se traduire partout et ça va encore fragiliser le lien avec la culture. C'est inconcevable de dire "le service public n'est pas rentable". C'est comme si vous disiez, "en France, on parle français". Le service public n'est pas rentable, sauf que là, on demande très clairement un arrêt du service public, de la culture, de l'égalité des chances, d'une partie du public, parce que si on veut chercher à ce que Le Quai soit rentable et bien les places seront à 30 €, 60 €, 80 €, 120 €. Et je ne suis pas sûr qu'on ait la même diversité de public qu'on a actuellement". 

 

 

Christelle Morançais explique que la culture a souvent vécu sous les subventions publiques. Des présidents de département ont fait savoir qu'ils ne pourraient pas jouer les pompiers de service. Est-ce que l'alternative de demander des aides du privé, c'est possible ? 

 

M Di Fonzo Bo : "C'est un peu le fonctionnement de la Culture aux Etats-Unis et ça marche, mais comment ça marche ? Déjà, c'est culturel chez eux. Alors, c'est une conception qu'on commence à voir en France aussi avec l'art contemporain et les grands mécènes ou les liens avec l'Arabie Saoudite. Tout ça, c'est une certaine vision de la Culture qui est complètement laissée aux entrepreneurs et dans un circuit privé. Il y a deux choses enfaîtes. Effectivement, que les labels nationaux comme Le Quai puissent défendre une certaine idée de démocratisation culturelle qui n'est pas forcément le même but qu'une politique exclusivement commerciale. Là, déjà, il y a une différence de base très grande. Le Quai, c'est produire des spectacles et on ne fait pas seulement ça. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'un théâtre est au coeur de la ville pour être un lieu de rassemblement, d'échange d'idées.

Si vous rentrez dans une économie exclusivement privée et commerciale, vous êtes soumis à celui qui vous donne l'argent. Si je finance Le Quai pour 2 millions d'euros, je dirai, "je veux voir ça et ça, mais pas ça". Parce que la Culture ne serait plus un partage d'un bien public pour lequel, à l'intérieur, il y a un appareil démocratique. Regardez, quand je suis arrivé au Quai, la Région a choisi le projet que j'ai présenté. C'est un projet qui répond à tout un tas de missions envers l'éducation, les hôpitaux, le partage de l'outil. Tout ça régule toute mon action. Je réponds à une politique culturelle décidée avant mon arrivée et que je partage entièrement. Si vous rentrez exclusivement dans un modèle privé, il n'y aura plus de régulation. N'importe qui peut vous demander, "moi, je veux voir que des comiques, du théâtre du XIXe ou tels auteurs", ça, c'est difficile. En revanche, qu'il y ait, comme au Festival d'Anjou, un mélange entre partenaires publics et privés, c'est bien. C'est-à-dire que quand il y a une subvention publique qui arrive et participe à une économie globale, ça donne une garantie aux entreprises que le projet est solide grâce à la présence des collectivités. Et ça donne aussi une garantie idéologique. Donc qu'il y ait des mécènes qui s'intéressent au social, ça existe, et nous, on devra y réfléchir."

 

Avant d'en arriver-là, le monde de la Culture a prévu un baroud d'honneur pour faire voter contre ce budget.

 

M Di Fonzo Bo : "J'invite tous les citoyens à se rendre sur le site du Quai pour signer la pétition ou s'associer à un tas d'actions comme l'envoi d'un courrier à votre élu du Conseil régional pour dire "je crois en le service public, je ne suis pas d'accord que Le Quai soit fragilisé par des décisions de ce type". Et il faut rappeler, je crois, que nous sommes tout à fait conscient que la situation est difficile, mais ce qui est en train de se passer, ce n'est pas faire face à une situation économique. C'est une pensée idéologique d'une partie de la majorité régionale."

Un rassemblement du monde la Culture, mais aussi des structures sociales touchées par ces coupes, est prévu devant l'Hôtel de Région ce jeudi 19 décembre.