En Mayenne, des objets personnels comme mémoire de déportés du nazisme
Jusqu'au 27 septembre, les archives allemandes Arolsen exposent à Mayenne des photos d'objets personnels confisqués aux déportés du nazisme. Un travail de mémoire, mais aussi de recherche pour les restituer aux descendants.
20 septembre 2023 à 17h12 - Modifié : 20 septembre 2023 à 17h38 par Alexis Vellayoudom
C'est une exposition internationale qui s'est installée à Mayenne. Depuis quelques jours, un conteneur bleu et rouge attire l'attention des passants sur l'esplanade François Mitterrand. Stolen Memory, un fond des archives allemandes d'Arolsen expose des objets de déportés du Nazisme. Une exposition particulière.
Des effets personnels de déportés
À l'intérieur de ce conteneur, les visiteurs pourront retrouver des photos d'objets personnels confisqués aux déportés à leur arrivée dans les camps de concentration de Neuengamme, Buchenwald, Dachau et Bergen-Belsen. "Ce sont des objets du quotidien, on va retrouver beaucoup de bijoux, d'alliances, des montres à gousset, des portefeuilles avec à l'intérieur des photos de famille, d'une épouse, d'un mari, des enfants, avec derrière des notes "mon amour". Ce sont des objets très personnels parce que c'est ce qu'ils avaient sur eux et ils ont été dépouillés de ça à leur arrivée dans les camps", présente Elodie Rolland, coordinatrice de la Vigie, mémorial des déportés de la Mayenne.
Mais la particularité de cette exposition, c'est qu'elle travaille aussi pour restituer ces objets aux descendants des victimes de la déportation, "il y a des reproductions, des photos de ces objets avec à chaque fois associés, l'histoire du déporté en question ou des QR code qui renvoit vers des témoignages où ce sont des descendants qui racontent comment 80 ans après, ils ont reçu la montre ou l'alliance de leurs parents ou grands-parents déportés", précise Elodie. C'est d'ailleurs par ce biais qu'en 2019, le mémorial des déportés de la Mayenne fait la rencontre des archives Arolsen, "ils conservaient le portefeuille d'un résistant lavallois, Pierre Coste. Ils cherchaient à identifier les descendants donc ils nous ont sollicités en 2019 pour participer aux recherches, mais elles ont été vaines, car on n'a pas retrouvé les descendants", se souvient Elodie.
Une exposition thérapeutique pour certaines familles de déportés
De son côté, Elodie Rolland observe depuis plusieurs années un afflux de descendants à la recherche d'une trace du passé de leurs mères, leurs pères ou leurs aïeux: "on a souvent des visiteurs qui viennent du Maine-et-Loire, de la Sarthe, de la Mayenne et nous disent, et bien voilà, j'ai mon père, mon grand-père ou ma grand-père qui a été déporté, fait prisonnier de guerre ou qui a été au service du travail obligatoire et j'aimerais bien en savoir plus, mais je ne sais pas, par où commencer, qui contacter".
C'est aussi tout le travail de cette exposition qui au-delà d'exposer des objets, tente de les restituer aux familles des déportés. "On intervient comme un morceau de puzzle dans leur mémoire familiale parce que souvent la déportation pour les rescapés des camps, ils ne vont pas en parler aux familles et aux enfants. Et c'est vrai que le travail qui est fait, c'est aussi une forme de travail de reconstitution de leur histoire familial et de réparation, car ces archives allemandes vont restituer des archives personnelles prises par les Nazis. Ça permet de combler un vide, des silences ou des tabous qui sont restés en famille", poursuite la coordinatrice.
Des objets comme mémoire familiale
"Je sais maintenant d'où je viens", lâche Pierre Lefèvre. Ce fils de déporté sarthois a trouvé un certain réconfort lorsque son père, Louis Lefèvre, résistant, déporté en avril 1944 à l'âge de 16 ans, lui a remis son récit de sa déportation. "Un soir, il me téléphone, il voulait passer à la maison. Il arrive à la maison et il me tend ce livre. C'était une couverture noire comme un vêtement déchiré. Sous le vêtement, apparaissait une étoile juive. Et là, j'ai compris. J'ai compris que c'était le livre sur sa déportation. Une fois qu'ils sont partis, dans la soirée, j'ai ouvert le livre et je l'ai lu. Je n'ai pas pu me retenir, fallait que je sache d'où je venais parce que je suis né après guerre. Je voulais savoir ce qu'il s'était passé et on se pose toujours la question de savoir comment se fait-il qu'il soit rentré alors que beaucoup n'ont pas survécu à ce qui c'est passé dans les camps".
Le livre Du bist jude est sorti en 1996 pour retracer le parcours de Louis déporté avec son père dans plusieurs camps allemands. Une histoire peu abordée dans la sphère familiale, "c'était très tabou. J'arrivais à prendre quelques brides parfois lors de discussions de mon père avec des anciens déportés", confie Pierre. Pour lui, ses frères et soeurs, le livre de leur père a permis de lever un tabou sur cette déportation et de mettre des mots sur la mémoire familiale : "il a rencontré des gens extraordinaires, des camarades de déportation qu'ils l'ont aidé. Il y a un médecin qui lui a donné des conseils pour soigner des plaies. Il y a un infirmier polonais qui lui a conseillé de manger du charbon de bois lorsqu'il avait une dysenterie. Il a rencontré un résistant allemand communiste qui a été interpellé de voir mon père avec son grand-père. Il l'a pris sous son aile et l'a protégé. Il recevait des colis de sa famille et temps en temps, il en donnait à mon père. Je parle d'ailleurs de lui dans la réédition parce que si mon père est rentré, c'est en partie grâce à l'aide de ce résistant allemand".
Pierre Lefèvre interviendra ce samedi pour présenter la réédition du livre. L'exposition se termine le 27 septembre.