Urgences de Laval. Caroline Brémaud « Je continuerai de parler avec mon cœur, mon âme, mes tripes »
En amont d'une mobilisation de soutien ce samedi 9 décembre à l'hôpital de Laval, l'urgentiste Caroline Brémaud s'exprime sur le retrait de ses fonctions de cheffe de service. La lanceuse d'alerte ne compte pas se taire et veut continuer à défendre l'accès aux soins pour tous. Entretien à cœur ouvert.
8 décembre 2023 à 18h58 par Coralie Juret
Vous avez été destituée de vos fonctions vendredi 1e décembre, comment ça s’est passé ?
« On a été réuni début novembre, les chefs des services urgences et SAMU-Smur, le chef de la médecine d’urgence, le président de la CME et le directeur. L’ARS avait demandé une mise en application d’un rapport de 2021 sur le fonctionnement des urgences et de l’hôpital, avec une réorganisation de la chefferie. De ce fait, je n’étais plus cheffe des urgences et il y avait un chef unique des urgences et du SAMU-Smur. Le chef du Samu perdait aussi sa chefferie. Mais le nouveau chef de la médecine d’urgence travaille juste au SAMU-Smur, c’est ça qui me met la puce à l’oreille. Dans le rapport il est écrit que la personne qui prend la fonction de chef doit travailler dans les deux services. »
Qu’est-ce qu’il y a vraiment dessous selon vous ?
« Pour moi c’est une sanction déguisée, on met en application ce qui arrange dans le rapport. Cet audit date d’octobre 2021, depuis on est rentré en régulation-fermeture, pour moi il est obsolète. Je ne vois pas l’intérêt de le mettre en application deux ans après alors que plus rien n’est pareil. Je trouve ça étonnant.
Depuis 2 ans que je prends la parole dans les médias je sais que ma parole dérange, ça a déjà été reproché de façon anonyme que ça pouvait nuire à l’attractivité de l’hôpital, du territoire. Il y a 2 ans quand j’ai commencé à m’exprimer de manière assez intense, un médecin parisien m’a appelée pour me dire que je prenais un risque pour ma carrière, que c’était dangereux de prendre la parole comme ça... Être lanceur d’alerte pour moi prime sur le devoir de réserve quand on travaille dans un hôpital public, et la situation est tellement catastrophique au niveau national que c’est de mon devoir d’alerter la population et de dire ‘indignez-vous, révoltez-vous’ parce que là, on va droit dans le mur. »
On a voulu vous faire taire ?
« Pour moi c’est au-delà de l’hôpital, je sais que ça dérange plus haut. La Mayenne était un désert médical avant que j’arrive, le problème ne vient pas de moi mais de l’organisation de la santé en France et dans notre département. Mais c’est plus facile de me couper la tête pour me faire taire que de régler les problématiques d’offre de soins en Mayenne et en France. Parce que c’est des vrais enjeux politiques, qu’il faut du courage politique pour mettre en place des mesures. »
Comment vous avez réagi ?
« Forcément avec beaucoup de tristesse parce que je suis investie. J’ai eu aussi quelques doutes, et de voir les réactions des gens, de recevoir tout ce soutien ça m’a fait du bien, et ça m’a permis de me rendre compte que j’étais dans le vrai et que c’était injuste. Je n’avais pas fait le lien mais Audace 53 l’a fait : comme par hasard on destitue Caroline Brémaud et on revoit l’organisation de la santé en Mayenne avec des fermetures des hôpitaux périphériques. »
Est-ce que vous allez vous taire ou continuer à vous exprimer ?
(Elle rit) « Non, je ne vais pas me taire ! Je vais continuer à m’exprimer parce que je parle avec mon cœur et je ne prémédite jamais mes prises de parole. En général je vis ma vie professionnelle à l’hôpital public, je fais des constats que n’importe quel patient pourrait faire aussi avec un peu d’esprit critique, et quand la coupe est pleine je déverse ma colère et mon indignation sur les réseaux sociaux, souvent c’est relayé par la presse. Je parle avec mon cœur, avec mon âme, avec mes tripes, avec ma chair... parce que je suis entière et que je veux du soin pour tous, et partout en France. C’est pour ça que je vis la médecine, je ne veux pas que ma vision change.
Il faut une prise de conscience collective que le système de santé en France est en danger. J’avais soumis l’idée de faire les gilets blancs de la santé et je continue de penser que c’est une bonne chose à faire, parce que tant qu’on pensera dans son coin qu’il y a des problèmes et que c’est local on n’y arrivera pas, il faut une mobilisation massive et nationale parce qu’on est tous concernés par la santé. »
Une mobilisation pour l’accès aux soins et vous soutenir est organisée samedi 9 décembre à 12h devant l’hôpital de Laval par l’ACCDM, Association de citoyens contre les déserts médicaux...
« Ce n’est pas que moi qui ai besoin d’être soutenue. C’est vous tous à travers moi. »