Mayenne. Cette comédienne mayennaise aborde le désir de liberté et la sexualité avec des résidents d'EHPAD
Dans le documentaire, Le Corps Vermeil, la comédienne mayennaise Hélène Capelle interroge les désirs des résidents d'EHPAD. Il est diffusé ce soir au cinéma Le Vox à Mayenne dans le cadre des 19ème Rencontres Cinéma et Santé.
Publié : 22 janvier 2024 à 16h38 - Modifié : 22 janvier 2024 à 16h39 par Alexis Vellayoudom
À l'occasion des 19ème rencontres Cinéma et Santé en Mayenne, Atmosphères 53 a programmé le documentaire Le Corps Vermeil de Ron Vargas, où une comédienne, née à Mayenne, questionne les désirs - sexuelles ou non - et les envies de résidents d'EHPAD. Entretien avec la comédienne et metteur en scène mayennaise Hélène Capelle, co-directrice de la Compagnie du Risque à Bordeaux.
Hélène, comment êtes-vous arrivés sur ce projet ?
"Ça commence par une jolie histoire. Je suis née à la maternité de Saint-Georges à Mayenne qui a été transformée en maison de retraite, L'Eau Vive où ma grand-mère a fini ses jours donc je suis née où ma grand-mère est décédée. Et quand elle est décédée dans cet EHPAD, l'équipe de soignants a dit ma mère que ma grand-mère avait été extrêmement vivant jusqu'au bout donc c'est quelque chose qui m'a beaucoup questionné, j'avais 16 ans. J'avais commencé à écrire un scénario de film, mais comme il devait être en immersion dans plusieurs EHPAD, il n'a pas pu se faire et donc on a transformé le projet en recherches autour de l'élan de vie, des désirs et jusqu'à la sexualité pour en faire un documentaire. Et enfaîtes, je suis devenue personnage du documentaire et donc moi, je ne l'ai pas pensé comme l'histoire qu'on voit dans le documentaire, je l'ai pensé comme trois mois de recherches".
Vous abordez le désir, jusqu'à la sexualité. C'était quelque chose de tabou ?
"Il y a beaucoup de questions qu'étaient taboues avec cette génération, mais il y a des choses qui sont en train de bouger avec la génération suivante. Et le tabou se situe, on s'en est rendu compte pendant le projet, au niveau familles. Enfaîte, les enfants ont plus de difficultés à envisager une sexualité, d'autres amours de leurs parents, qui ont eu un vécu. Et c'est compliqué pour eux de se dire parfois que leurs parents sont encore vivants, ont encore des choses à explorer ou à vivre et sont encore libres. Surtout qu'il peut y avoir des problèmes cognitifs donc il y a aussi ces questions-là. Mais, nous, avec les résidents, on n'a pas eu de tabou là-dessus. Il y a eu une liberté de parole hyper riche et d'autant qu'on n'a pas cherché à aller dans des EHPAD, où cette question était posée par des couples très affirmés où il y avait des histoires de sexualité très avérées. On a vraiment choisi des publics lambda avec qui on s'est posé la question ensemble".
Ça a été une forme d'exutoire pour les résidents ?
"On les a un peu bousculés à des endroits (rires). Je n'étais pas toute seule, j'ai invité un philosophe, un photographe, une étudiante en design qui développe une couverture sensuelle. Ce qui a été hyper chouette sur ce projet, c'est que notre relation était basée sur le consentement, donc enfaîtes, les résidents avaient la liberté de s'arrêter où il le désirait, on n'a jamais rien forcé et du coup, ça les a bousculés à des endroits. Mais je pense que oui, c'est une question qu'est peu abordée, qu'est compliquée parce que les soignants qu'on a rencontrés, nous ont aussi dit que dans leur formation, ça n'était pas abordé. Ça va loin dans le tabou, même dans la formation, cette question-là, qui est pourtant dans les droits des résidents, le droit à l'intimité, à la sexualité, n'est pas abordé, n'est pas un point qui semble important dans les formations. C'est cette question qu'on soulève aussi."
Et c'est un enjeu de santé pour eux ?
"Exactement ! Enfaite, ce qu'on a vraiment été rechercher avec eux, ce sont les endroits de liberté. C'est pour ça que c'est parti de l'élan de vie, des petits bonheurs, des petits plaisirs et désirs dans toutes les formes. On a vraiment exploré qu'est-ce qui fait du bien, qu'est-ce qui fait qu'on est encore vivant jusqu'au dernier souffle. C'est ça qui a été intéressant, la sexualité, c'est une petite part de notre recherche, ça paraît en toute discrétion, ça ouvre des portes. Comme dans les institutions, à quel moment, les libertés peuvent-elles être bridées par les institutions, par le côté sécuritaire de l'institution, par l'aspect santé, ce qu'on projette sur les résidents. Donc oui, c'est une question de santé, une question de liberté aussi, c'est assez philosophique".
Il y a des choses qui vous ont étonnées sur ce qui s'y passe dans ces EHPAD ?
"Ce qui s'y passe, ça s'est un peu dit à demi-mot. Il y a une séquence où il y a conflit entre résidents, parce qu'une résidente affirme qui se passe un truc dans l'EHPAD, une histoire de sexe et les autres sont dans la négation de ça. Il y a des choses qui sont plus ou moins bien vécues, qui sont plus ou moins aussi choquantes, car c'est une génération qui est liée à un amour, une histoire. On est dans une espèce de fidélité donc il y a aussi ces questionnements de tout d'un coup vivre d'autres histoires après plusieurs années avec quelqu'un. Donc il y a quand même un peu de morale et en même temps quand on creuse un peu, et bien, on apprend des choses. Mais nous ce qui nous a plu, c'est qu'on les a laissés aller jusqu'où ils voulaient. On n'a pas du tout été intrusif donc on n'a pas eu des choses croustillantes, mais ce n'était pas ça, l'intérêt du projet".
Hors sexualité, quels sont les désirs des résidents ?
"Il y a un vrai désir d'échange. Il y a une dame qui m'a bouleversé parce qu'elle m'a dit, "j'avais envie que vous reveniez, juste pour qu'on se retrouve en petit groupe", parce que dans les EHPAD, on est rarement en petit comité. Et là, d'être à trois, quatre, cinq, ça permet d'avoir des échanges qui sont vrais et je pense qu'ils sont dans ce désir d'avoir des échanges vrais. Ce que j'ai ressenti, c'est qu'ils ont apprécié qu'on ne projette pas sur eux des choses. Après, il y a le rapport à la nourriture. Il y en a qui sont assez frustrés de ce qu'ils mangent. Et il y a le rapport à l'extérieur. Il y a quelque chose qui avait été proposé dans le projet, c'est l'idée des rêves. On avait proposé à des résidents de nous dire leurs rêves, ce qui fait qu'il y a une résidente de 94 ans qui a passé son baptême de l'air avec son arrière-petit-fils de 14 ans. Il y a eu une croisière, un vol en ULM, des choses un peu dingue qui ont mis de la vie. Il y a eu une sortie qu'on voit dans le film, et on voit que le désir de ces résidents tout d'un coup, c'est de pouvoir profiter de l'extérieur et qu'il y a une angoisse à l'idée de revenir à l'intérieur. Je pense qu'il y a ça, c'est ce désir de pouvoir encore palper de la vie et d'aller voir à l'extérieur ce qui s'y passe. Ne pas se sentir enfermé".
Vous en retirez quoi de cette expérience ?
"C'est une question compliquée. Ça a été trois mois très intense, on y était tous les jours. Ce sont des rencontres assez puissantes. Il y en a trois qui sont partis depuis, à chaque fois que j'apprends un décès, ça m'émeut profondément parce que justement, on touche à la possibilité de vivre des choses et de nouvelles choses jusqu'à la fin. Et je me dis, que ces rencontres qu'on a vécu, enfaîtes, c'est aussi quelque chose qu'on leur a donné la possibilité de vivre et qu'on s'est donné la possibilité de vivre en tant qu'artiste".
Le Corps Vermeil est diffusé au cinéma Le Vox de Mayenne ce lundi à 20h. La comédienne Hélène Capelle et Laurence Blanche, cadre de santé aux EHPAD du Centre hospitalier du Nord-Mayenne seront présentes pour échanger avec le public.