Maine et Loire

Combrée. Agressions sexuelles au collège : Qu'est devenue l'enquête de 1997 ?

Les accusations d'agressions sexuelles se multiplient depuis une semaine, à l'encontre d'un surveillant de l'ancien collège de Combrée, entre les années 1970 et 1994. Une première enquête avait été ouverte en 1997, sans qu'aucune suite ne soit donnée. Les victimes espèrent aujourd'hui pouvoir rouvrir le dossier.

Publié : 3 avril 2025 à 9h23 - Modifié : 3 avril 2025 à 9h53 Marie Chevillard et Alexis Vellayoudom

Image d'illustration de l'ancien collège de Combrée, fermé depuis 2005.
Image d'illustration de l'ancien collège de Combrée, fermé depuis 2005.
Crédit : DR

Dans le sillage de l'affaire Bétharram, d'autres établissements catholiques sont visés par des accusations d'agressions sexuelles. Et la parole se libère petit à petit parmi les anciens élèves du collège de Combrée, près de Segré. Selon les premiers témoignages, elles auraient été commises entre la fin des années 1970 et 1994, année où le préfet de discipline mis en cause a quitté l'établissement. Une enquête avait été ouverte en 1997 par la gendarmerie de Pouancé, mais elle n'avait donné lieu à aucune suite. Nous sommes revenus sur cette période avec plusieurs anciens élèves et le président de l'Amicale des anciens élèves et amis de Combrée

 

"Tout ça a été permis par l'omerta"

 

Comme François Caro, il fait partie des anciens élèves qui enchaînent les interviews. Jean* est un ancien élève du collège, présent entre 1986 et 1989. Il dénonce des violences sexuelles subies pendant cette période. S'il ne souhaite pas rentrer dans les détails de ce qu'il a vécu, il pointe surtout l'ampleur du phénomène, selon lui. "Il y a plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d'enfants, qui ont été agressés sexuellement par ce monsieur. Tout ça a été rendu possible par l'omerta chez une partie des encadrants et de la hiérarchie, qui savait. Ils ne connaissaient certainement pas l'ampleur de la chose, mais ils savaient que ce surveillant avait des comportements déplacés."

 

Preuve en est, selon Jean, des habitudes adoptées au quotidien par le surveillant. "Quand un adulte, responsable des études et responsable de l'internat, fait régulièrement monter des enfants dans sa chambre, ce n'est pas normal. Ce monsieur, il a bien un bureau... Il était sans arrêt au contact d'enfants : toutes les semaines scolaires, il avait les internes à la porte de main ; il organisait des vacances à la montagne, il avait un club photo, un club vidéo, il entraînait l'équipe de foot aussi... Il était omniprésent ! Et il s'arrangait pour avoir des gamins en permanence à ses côtés pour pouvoir assouvir ses pulsions. C'est un grand prédateur, un grand malade mental, un grand criminel."

"C'est un grand prédateur, un grand criminel", témoigne un ancien élève
Crédit : Marie Chevillard

 

Contrairement à certains de ses camarades, l'ancien élève, aujourd'hui âgé d'une cinquantaine d'années, dit ne pas avoir de 'black out' du jour de son agression, mais plutôt "du lendemain. Je le savais, que ce que j'avais vécu n'était pas normal. Mais à ce moment-là, c'était complètement impossible pour moi d'en parler (à ses parents ou à d'autres proches). J'étais plutôt dans la colère, la colère d'avoir été agressé, colère contre lui, colère contre moi aussi. On se sent coupable de s'être laissé faire, de ne pas avoir hurlé, de ne pas avoir réussi à le repousser. On se sent sali, c'est quelque chose qu'on a envie d'oublier rapidement". Si aujourd'hui, il accepte de témoigner, c'est le résultat d'un processus qui a pris beaucoup de temps. "Pouvoir me le dire à moi-même dans la glace, ça m'a pris des années ; pouvoir en parler à mes proches, à mes intimes, il a fallu encore du temps ; et pouvoir en parler à des inconnus, c'est encore des années et des années."

 

Qu'est devenue l'enquête de 1997 ? 

 

C'est la question que se posent beaucoup de victimes et acteurs du dossier. En 1997, la gendarmerie de Pouancé, sous contrôle du procureur de la République d'Angers, ouvre une enquête après avoir recueilli plusieurs témoignages. À l'époque, plusieurs élèves et anciens élèves sont entendus. Jean se souvient : "J'ai un ami qui a appelé la gendarmerie de Pouancé pour témoigner et on lui a dit que son témoignage ne les intéressait pas, parce qu'il ne portait pas sur la période concernée par l'enquête." Pour lui, l'enquête a été mal menée. "Les gendarmes avaient certainement de très bonnes intentions, mais ils ne savaient pas du tout travailler sur ces sujets. Par exemple, on va pas entendre un enfant avec ses parents pour qu'il raconte des choses. Il y a beaucoup d'externes qui ont été entendus ; or, les externes étaient beaucoup moins concernés par les agressions que les internes. Il y a aussi une partie du personnel encadrant qui n'a pas été auditionnée."

 

Nous avons pu joindre une des élèves chez laquelle les enquêteurs sont passés à l'époque. Scolarisée en tant qu'externe en 1994, elle n'a subi aucune violence, mais se souvient du passage de la gendarmerie en 1997. "Un soir, les gendarmes sont venus voir ma mère. Ils lui ont posé des questions pour savoir si j'avais vécu des choses à Combrée. Ma mère a dit qu'elle pensait que non, mais qu'il fallait peut être m'en parler directement. Ils ne se sont pas plus informés que ça et sont partis. La manière de faire, demander aux parents au lieu des enfants, je trouvais ça complètement illogique."

"L'enquête de 1997 a été mal menée", selon une victime
Crédit : Marie Chevillard

 

Qu'a donné l'enquête ? D'après différents témoignages que nous avons recueillis, elle a été classée sans suite. "L'enquête de 1997, a priori, n'a pas donné lieu à des poursuites", confie Loïc Dusseau, président de l'Amicale des anciens élèves et amis de Combrée. En tentant de comprendre, l'avocat de formation arrive à une hypothèse : "Avant 1995, la prescription était de 3 ans à compter de la commission des faits. Ce qui veut dire que ceux qui ont subi ces agressions sexuelles étaient soumis à cette loi antérieure, donc pour des faits subis entre 1980 et 1994. Il y avait prescription des faits au moment de l'enquête. La justice n'était pas parfaite. D'ailleurs, la loi de 1995 a permis de passer la prescription à 3 ans, mais à compter de la majorité de la victime." Parmi les autres facteurs qui auraient pu jouer à l'époque, il évoque la honte des victimes, les trous de mémoire causés par d'éventuelles traumatismes ou encore les méthodes d'enquête. "Faire un interrogatoire en présence des parents, c'était normal à l'époque."

 

 

Mais comment en être sûr ? Aujourd'hui, rien n'a filtré sur l'enquête de 1997. "C'est aussi le rôle de l'avocat mandaté auprès des victimes. C'est d'essayer d'obtenir des copies du parquet d'Angers pour comprendre pourquoi il n'y a pas eu de suite. Mais il faut aussi se remettre dans l'époque, tout se faisait en papier, il y avait pas d'ordinateur", tempère le président. Ces archives permettraient aussi de savoir combien de personnes ont été interrogées, qui était au courant des agissements du préfet de discipline. Selon nos informations, les hautes autorités de l'établissement avaient été mises au courant par l'un des salariés arrivé après le départ du mise en cause. En 2017, la plainte, déposée à Angers par trois victimes, avait conduit à l'ouverture d'une enquête par le parquet de Nîmes, département où l'agresseur présumé résiderait, mais elle a été classée sans suite

 

Quelle suite pour les victimes qui parlent aujourd'hui ? 

 

Pour le moment, l'heure est à la libération de la parole. L'Amicale des anciens élèves et amis de Combrée fait un travail de recueil. "On essaye d'écouter et récolter", confie Loïc Dusseau, président et ancien élève. C'est d'ailleurs pour cela que la page facebook Combrée Beach est restée public. "L'idée, c'est que les victimes potentielles se sentent prises en considération. On a voulu laissé libre cette page pour libérer la parole." Une adresse mail a été mise en place : signalement-abus@amicalecombree.fr. À ce jour, 8 signalements directs ont été reçus, mais d'après un comptage interne de l'Amicale, il y aurait aujourd'hui entre 12 et 15 victimes, dont les faits sont avérés. "À des degrés et des perceptions différents. On essaye un peu de vérifier chaque histoire, replacer dans le contexte, essayer de comprendre", rappelle Loïc Dusseau.

L'Amicale incite aussi les victimes potentielles à prendre contact avec Romaric Raymond, avocat choisi par les premières victimes. Viendra ensuite le temps de la justice, même si les faits sont aujourd'hui prescrits. "Il faut bien être conscient que pénalement, on ne pourra rien faire contre la personne mise en cause. En revanche, ce qu'on peut espérer c'est que l'enquête soit relancée, que la parole des victimes soit prise en compte et que le mise en cause soit entendu, confronté aux victimes et placé face à ses responsabilités", espère Loïc Dusseau. Si aucune suite judiciaire n'est donnée, l'Amicale réfléchit à organiser des manifestations publiques et un travail de mémoire pour que les victimes ne soient pas oubliées. 

 

*Le prénom a été modifié pour conserver son identité.